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Antivaccins : le doute à forte dose

Enquête

Antivaccins : le doute à forte dose

La montée du complotisme a fait mousser la popularité de la pseudoscience et du mouvement antivaccin. Alors que les Canadiens craintifs face à la vaccination augmentent, les influenceurs antivaccins et les réseaux de désinformation nébuleux font de plus en plus de bruit, comme l'a observé une équipe d'Enquête.

Un texte de Brigitte Noël

Publié le 11 février 2021

Linda Morin aurait pu avoir le profil d’une militante antivaccin. En 2008, sa vie a été complètement chamboulée quand sa fille unique est décédée, quelques semaines après avoir reçu la deuxième dose d’un vaccin contre le VPH. Elle n’avait que 14 ans.

Annabelle était en bonne santé, elle n'avait jamais été malade, se souvient-elle. Elle vivait à 100 milles à l'heure, il n'y a pas eu de signes avant-coureurs pour que quelque chose comme ça arrive.

La coroner a conclu que la jeune fille s'était noyée dans son bain à la suite d'une perte de connaissance, mais n'a pas été en mesure d'établir ni d’éliminer un lien entre le vaccin et le décès. Linda Morin, elle, demeure convaincue que sa fille aurait souffert d’une réaction adverse à l’inoculation.

Portrait de Linda Morin
Linda Morin gère un groupe Facebook dédié à la mémoire de sa fille morte subitement. Photo : Radio-Canada

Sur Facebook, la mère endeuillée gère un groupe à la mémoire de sa fille, où elle partage des nouvelles en lien avec ce vaccin. Un groupe qu’elle a dû rendre privé, et qu’elle surveille maintenant de près pour chasser les militants antivaccins.

C'est beaucoup, beaucoup d'affaires de complot qui rentrent présentement, mais je ne les publie pas, dit-elle. Moi je ne veux pas parler contre la rougeole, je ne veux pas parler contre tous les autres vaccins.

Je suis encore provaccin, j'ai toujours dit que j'étais provaccin.

Hésitation vaccinale à la hausse

En 2019, avant la pandémie, l’Organisation mondiale de la santé avait statué que l’hésitation à la vaccination était une des dix plus grandes menaces à la santé publique. Le phénomène est encore plus préoccupant aujourd’hui : de nouvelles données publiées par des chercheurs de l’Université de Sherbrooke démontrent que de plus en plus de gens éprouvent une hésitation par rapport au vaccin contre la COVID-19.

Selon nos données au Canada, il y a eu entre juin 2020 et novembre 2020 une hausse en particulier chez les indécis, explique Marie-Ève Carignan, directrice du Pôle médias de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent. Plus d’un quart des Canadiens se posent maintenant des questions par rapport au vaccin; en juin, moins de 18 % de la population se disait indécise.

C’est inquiétant, car des gens qui étaient prêts à prendre le vaccin en juin maintenant ne sont plus sûrs, affirme Marie-Ève Carignan.

Une infirmière prépare une dose du vaccin Pfizer contre la COVID-19
Certains pays tardent à commencer leur campagne de vaccination contre le coronavirus, et ce, pour de multiples raisons. Photo : Associated Press / Francisco Seco

La montée de l’adhésion aux théories du complot – et l’instrumentalisation de ces idées par le mouvement antivaccin – aurait influencé cette tendance. Le sondage cherchait également à déterminer le niveau d’adhésion au complotisme, ce qui a révélé un lien entre l’hésitation ou le refus vaccinal et les croyances conspirationnistes.

Ève Dubé, chercheuse de l’INSPQ qui étudie le mouvement antivaccin, avance qu’une certaine hésitation était anticipée, compte tenu des circonstances actuelles : ce vaccin a été développé en temps record, et il utilise une nouvelle technologie.

Portrait d'Ève Dubé.
« Quand ça devient problématique, c'est quand on remet en question la science. La science est très claire par rapport au vaccin et par rapport à l'efficacité, la sécurité des vaccins », précise Ève Dubé. Photo : Radio-Canada

Semer la peur

Mais ce type de désinformation, qui prétend que le vaccin est dangereux et que la population doit se méfier des médecins ou des pharmaceutiques, est de plus en plus stridente, notamment grâce au mouvement de contestation contre les mesures sanitaires.

Les manifestations de l’an dernier ont donné une nouvelle tribune – et livré de nouveaux adeptes – au mouvement antivaccin.

Certains leaders des mouvements antivaccins se sont mis en dialogue avec, par exemple, des leaders de mouvements d'extrême droite pour partager toutes sortes de thèses complotistes en lien avec la COVID, mais pas que, explique Marie-Ève Carignan. On peut penser, par exemple, à des discours liés à Qanon qui sont sortis de l'extrême droite et se sont mis à être partagés par des gens plus associés à la pseudoscience antivaccin.

Marie-Ève Carignan assise à un bureau.
Marie-Ève Carignan est professeure au Département de communication de la Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Sherbrooke. Photo : Courtoisie : Université de Sherbrooke / Michel Caron

Cette synergie complotiste a donné naissance à une foule de théories invraisemblables (et fausses), comme l’idée que l’inoculation servirait à éliminer une portion de la population, ou bien qu’elle contiendrait des nanoparticules qui pourraient être utilisées pour nous contrôler.

C’est le genre de propos qu’avance Jean-Jacques Crèvecoeur, une des voix les plus fortes du mouvement antivaccin francophone. D’origine belge, il vit au Québec depuis 2004. Jean-Jacques Crèvecoeur s’était fait connaître en 2009, pendant la pandémie de la grippe H1N1.

À l’époque, il ordonnait aux gens de ne pas faire vacciner leurs enfants et prétendait que les États-Unis étaient en train de construire des camps de concentration (munis de guillotines) pour les citoyens qui refusaient la vaccination. Cette année, l’auteur et conférencier était une des figures de proue lors des manifestations contre le masque et le confinement, où il appelait à la désobéissance civile.

En Europe, les activités de Jean-Jacques Crèvecoeur sont sous la loupe d'organismes qui enquêtent sur les dérives sectaires. Au Centre d’information et d’avis sur les organismes sectaires nuisibles, en Belgique, on s’inquiète notamment du fait que Jean-Jacques Crèvecoeur fait la promotion de la Nouvelle Médecine germanique, une médecine alternative jugée dangereuse, et qu’il prétend que les vaccins sont utilisés pour implanter des puces sous-cutanées.

Si vous avez marre de vos parents, conseillez-leur d’avoir le vaccin contre la grippe saisonnière cinq ans d’affilée, et vous multipliez par dix leurs chances de mourir d'alzheimer, affirme-t-il faussement dans une vidéo publiée en 2019.

Publication Facebook avec le portrait de Jean-Jacques Crèvecoeur.
Image tirée de Facebook de Jean-Jacques Crèvecoeur, qui est une des voix les plus fortes du mouvement antivaccin francophone. Photo : Facebook/Jean-Jacques Crèvecoeur

Si ces histoires peuvent sembler farfelues, elles sont pourtant très populaires : la page Facebook de Jean-Jacques Crèvecoeur compte plus de 340 000 abonnés. Sa chaîne YouTube, effacée en juillet pour avoir contrevenu aux conditions d’utilisation du site, comptait 230 000 adeptes, un chiffre qui avait plus que doublé depuis le début de la pandémie. Dans une vidéo filmée lors d’une des manifestations de l'été dernier, Crèvecoeur se vante d’avoir cumulé plus de 13 millions de visionnements pendant la période COVID.

Mais Jean-Jacques Crèvecoeur, qui vend des formations qui peuvent coûter jusqu'à 1600 $, nie avoir profité de la COVID pour s’enrichir. Bordel de merde, ça fait 32 ans que je suis formateur, a-t-il déclaré en entrevue. « Est-ce que vous croyez que j'ai eu besoin du COVID-19 pour me faire une fortune?

Il affirme que sa compagnie, qui aurait fait 11 millions d'euros de chiffre d'affaires dans la dernière décennie, a dû ralentir ses activités l'an dernier. En 2020, j'ai fait 45 % de chiffre d'affaires de moins que 2019, et j'ai dépensé 650 000 $ pour me battre contre la propagande des médias tels que le vôtre.

En décembre, Jean-Jacques Crèvecoeur a publié une vidéo qui prétendait que certains humains allaient bientôt pouvoir accéder à une cinquième dimension. En janvier, juste avant l’intronisation de Joe Biden, ses abonnés ont reçu un courriel leur disant de faire des provisions d’eau et de nourriture en prévision d'une potentielle panne d’électricité ou en cas de décret de loi martiale.

L’influenceur réfute les allégations selon lesquelles il sème la peur. J'ai la responsabilité de ce que je dis, je n'ai pas la responsabilité de ce que les gens interprètent.

Les autorités aux aguets

Forcément, il y a des influenceurs qui préoccupent au Québec, parce qu'ils amènent des gens dans une réalité alternative, explique Marie-Ève Carignan. Le danger, c'est qu'il suffit d'une personne qui dévie pour qu’il puisse avoir de graves dommages.

En janvier, un groupe Facebook nommé SOS Québec s’est retrouvé dans la ligne de mire de l’équipe antiterrorisme du SPVM après avoir distribué un tract qui comparait la vaccination à un génocide ordonné avec l’aide de l’armée canadienne. Le fondateur du groupe, Ronald Marenger, dit que leurs intentions étaient pacifiques, mais les forces policières ont quand même cru bon d'alerter les CIUSSS de la métropole.

Sur la page du groupe, qui rassemble près de 11 000 abonnés, les membres se partagent énormément de contenu antivaccin. En janvier, un article sur le pharmacien du Wisconsin accusé d’avoir tenté de saboter plus de 500 doses du vaccin contre la COVID-19 s’est avéré particulièrement populaire. Le titre de l’article traite l’homme de conspirationniste, mais les membres de SOS Québec jugeaient plutôt qu’il était un allumé.

Un homme avec une conscience, car il devait avoir des doutes sérieux, écrit un internaute.

Une publication sur Facebook.
Article sur un pharmacien du Wisconsin, accusé d’avoir tenté de saboter plus de 500 doses du vaccin contre la COVID-19, est partagé sur la page de SOS Québec. Photo : Facebook/SOS Québec

Le mouvement antivaccin bien implanté aux États-Unis

Si un petit nombre de militants antivaccins fait énormément de bruit au Québec, Ève Dubé rappelle que le phénomène reste marginal. Je pense qu'il faut faire la différence entre avoir des questions, des craintes, des hésitations par rapport à la vaccination et être un activiste contre les vaccins qui prend la parole publiquement, dit-elle. Au Québec, on a été traditionnellement "protégés", c'est-à-dire qu'il y a eu très peu de ce type de mouvement [antivaccin] organisé.

Chez les Américains, où plus de la moitié du pays hésite à se faire vacciner ou refuse de le faire, le lobby antivaccin représente une véritable industrie. Ces mouvements sont soutenus financièrement par différents acteurs qui ont des gains et des profits financiers à faire en s'opposant aux vaccins, explique Ève Dubé. On sait que la vaccination, comme d'autres sujets de santé, s'est très politisée aux États-Unis.

Une manifestante brandit une affiche demandant aux parents de les laisser prendre leurs décisions.
Des manifestants antivaccins dénoncent une campagne de vaccination du gouverneur de Massachusetts Charlie Baker destinée aux écoliers à l'automne 2020. Photo : Getty Images / Scott Eisen

Une récente étude (Nouvelle fenêtre) a d’ailleurs démontré que les tweets de l’ex-président Donald Trump, qui faisaient parfois allusion à un lien entre le vaccin et l’autisme, avaient amplifié la méfiance du public envers les vaccins.

Le lobby antivaccin américain a su exploiter l'anxiété pandémique et l’essor du complotisme, a constaté l'équipe du Center for Countering Digital Hate (CCDH), un OBNL américano-britannique qui lutte contre les discours haineux.

L’automne dernier, des membres du CCDH se sont immiscés dans une conférence antivaccin virtuelle. C'était comme si nous étions à une conférence de gestionnaires en marketing qui discutaient de la façon de vendre leur produit, décrit Imran Ahmed, directeur du CCDH. C'était incroyablement banal, mais aussi effrayant, parce qu’ils utilisent consciemment la COVID pour semer le doute.

Parmi les participants : Andrew Wakefield, auteur de l’étude bidon qui prétendait établir un lien entre le vaccin et l’autisme; Del Bigtree, conférencier et cinéaste antivaccin; et Joseph Mercola, médecin controversé, qui est aussi propriétaire d’un empire de produits naturels.

Selon Imran Ahmed, ces grosses pointures du mouvement antivaccin s'étaient rassemblées pour discuter de stratégies pour tirer parti de la pandémie. Dans les vidéos captées lors de l’événement, ces influenceurs se réjouissent d’avoir accès à un plus grand public. Le nombre de personnes conscientes de ces enjeux a considérablement augmenté face au coronavirus, COVID-19, proclame Andrew Wakefield.

Portrait d'Imran Ahmed.
Imran Ahmed, qui dirige le Center for Countering Digital Hate (CCDH), affirme que certains groupes antivaccins utilisent la COVID pour semer le doute. Photo : Radio-Canada

Il ne s’agit pas d’une croisade altruiste, prévient Imran Ahmed. Ces influenceurs vendent une panoplie de services et de produits : des huiles essentielles ou des suppléments, des conférences et même des formations. Ils tentent de remplacer les vaccins par des solutions qu'ils ont développées eux-mêmes, dit-il.

Certains joueurs antivaccins ont aussi adopté des expressions popularisées par le mouvement conspirationniste QAnon, comme l’idée d’un Deep State; d’autres se sont explicitement ralliés à cette mouvance.

Imran Ahmed souligne que les manipulations mises de l’avant par ce lobby sont basées sur trois idées maîtresses :

  • que la COVID n'est pas vraiment dangereuse;
  • que nous ne pouvons pas assurer la sécurité des vaccins;
  • que nous ne pouvons pas faire confiance aux médecins.

Infodémie

Ces trois idées maîtresses sont reprises partout sur le web, dans des articles qui ont souvent l’allure de publications légitimes. Mais le trafic web représente également une source de revenus. Notre analyse d’articles antivaccins populaires démontre que ce type de contenu est souvent publié par des compagnies de produits naturels, des sites de fausses nouvelles ou même dans un cas, par un site canadien accusé d’avoir des liens avec des réseaux de désinformation russes.

Le mouvement antivaccin est très présent sur les médias sociaux, qui donnent à ces groupes une immense portée, dit Imran Ahmed. Si les géants du web n’ont pas encore sévi pour retirer ce genre de désinformation de leurs plateformes, c’est parce qu’ils en tirent aussi profit, croit-il. La publicité représente 95 % des revenus des médias sociaux, alors ce qu'ils veulent, c'est qu'on continue à naviguer sur leurs sites afin qu’ils puissent te vendre de la pub, indique-t-il. Le trafic généré par les antivaccins représente un milliard de dollars aux géants des réseaux sociaux.

Dans un courriel, un porte-parole de Facebook nous a dit que la compagnie surveillait de près les pages qui partagent de fausses informations sur les vaccins. Nous identifions les pages et les groupes qui partagent de manière répétée des fausses informations sur les vaccins, nous abaissons leurs messages dans le fil d'actualité et nous ne les recommandons à personne.

Mais nous avons constaté qu’en cliquant J’aime sur des pages Facebook antivaccins, le site nous proposait une foule d’autres pages semblables. Idem sur Instagram.

Une fiole du vaccin de Pfizer-BioNTech et des seringues.
Plusieurs opérations vaccination sont en cours dans le monde. Photo : Reuters / Yves Herman

Si la vaccination va nous sortir de la pandémie, c’est l’information et la transparence qui vont freiner la montée du doute, dit Ève Dubé. Les vaccins sont arrivés assez rapidement et je pense que les équipes de communication n'étaient pas nécessairement outillées, explique Ève Dubé. Le vide dans les discours autour des vaccins a été comblé par des acteurs qui ne sont pas nécessairement ceux qu'on aurait souhaités.

Il y a des gens qu’on peut faire changer d’idée éventuellement avec des stratégies gouvernementales ou de santé publique, dit Marie-Ève Carignan. « Mais forcément ça va dans les deux sens, si je n’ai pas fait mon choix, je peux être influencée pour ou contre.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec nous a dit que les stratégies de communication concernant le vaccin étaient imminentes.

Faire finalement le choix du vaccin

Linda Morin compte se faire vacciner dès que son tour viendra. Proche aidante de son père, elle se sent obligée de le faire.

Je ne suis pas la fille qui va dire "Yes Sir" le vaccin, dit-elle, toujours inquiète. Mais je prends la chance, je vais prendre la chance, parce que j'ai du monde qu'il faut que je voie.

Ce sont [mes parents] qui m'ont sauvé la vie après le décès d'Annabelle, je me suis accrochée à eux autres, donc aujourd'hui, il faut que je le fasse pour eux, il faut que je me préoccupe du monde autour de moi aussi.

Il va falloir que les gens se fassent vacciner, ils n’auront pas le choix parce qu'on ne peut pas continuer comme ça, la vie. Les restaurants sont fermés, nos jeunes sont embarrés dans des sous-sols à étudier devant un écran, ça n'a pas de bon sens, et la vie est arrêtée.

Le reportage de Brigitte Noël et d'Emmanuel Marchand est diffusé à Enquête le jeudi à 21 h à ICI Télé.

Illustration de l'entête : iStock / Cecilia Escuedro

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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