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Le discours antivaccin en temps de pandémie : comment y faire face?

La disponibilité imminente de vaccins contre la COVID-19 offre une nouvelle occasion aux groupes antivaccins de faire rayonner leurs messages, d’où l’importance de comprendre le phénomène pour savoir mieux y réagir.

Un manifestant brandissant une affiche contre le vaccin.

Plusieurs manifestants se sont dits opposés à la vaccination obligatoire.

Photo : Radio-Canada / David Rémillard

Le récent sondage IPSOS/Radio-Canada sur les attentes des citoyens envers les vaccins contre la COVID-19 n'indique pas de chute importante du niveau de confiance de la population à leur égard. Mais il ne faut pas sous-estimer la longueur d'avance des groupes antivaccins sur les réseaux sociaux.

Olivier Klein s’intéresse de près au phénomène de la désinformation sous l’angle de la psychologie sociale. L’avènement de la pandémie de COVID-19 a permis à ce professeur de l’Université libre de Bruxelles d’approfondir ses analyses. L’équipe des Décrypteurs l’a joint en Belgique pour avoir son point de vue sur l’influence des groupes antivaccins dans un contexte de crise sanitaire mondiale.


Tout d’abord, jusqu’à quel point doit-on se méfier des amalgames quand on explore la méfiance envers les vaccins?

On peut se dire ce sont tous des conspirationnistes, mais en fait, pas du tout! L’hésitation vaccinale recouvre toute une série d’opinions.

Il y a des gens qui n’ont pas confiance envers un seul vaccin, mais qui ont confiance envers les autres. Il y a des gens qui doutent et qui sont disposés à se faire vacciner, mais qui ne sont toutefois pas totalement sûrs. Puis, il y en a qui sont radicalement opposés à tous les vaccins, et ceux-là sont une minorité, et parmi ceux-là, il y a les hardcore conspirationnistes et complotistes qui se structurent autour de cette idée-là.

À ça s’ajoutent des gens qui sont opposés aux vaccins dans le cadre de croyances beaucoup plus larges. Par exemple, il y a des mouvements de médecine douce pour qui l’opposition à la vaccination est un élément parmi d'autres de leur discours.

Vous avez donc toute une galaxie de gens qui ne voudront pas se faire vacciner pour des raisons très différentes. Donc, ça demande aussi d’avoir des approches assez différentes vis-à-vis d’eux.

Une citation de Olivier Klein, professeur de psychologie, Université libre de Bruxelles.
Le psychologue Olivier Klein en entrevue avec l'équipe des Décrypteurs. Spécialisé en psychologie sociale, M. Klein s'intéresse de près à la pensée conspirationniste.

Le psychologue Olivier Klein en entrevue avec l'équipe des Décrypteurs. Spécialisé en psychologie sociale, M. Klein s'intéresse de près à la pensée conspirationniste.

Photo : Radio-Canada

En particulier, quelque chose de très dangereux à mon avis, c’est de se dire : Tous ces gens sont des antivaccins.

À la limite, ça ne fait pas partie de l'identité de ceux qui hésitent, ce n’est pas quelque chose qui est constitutif de leur identité. Leur coller cette étiquette sur le dos, pour moi, c’est la meilleure façon de cristalliser cette identité et donc de favoriser une plus grande résistance aux vaccins.

En résumé, les raisons pour lesquelles les gens hésitent ne sont pas du tout les mêmes que celles de ceux qui sont contre les vaccins.

Qu’est-ce qui fait que certaines personnes adhèrent aux groupes conspirationnistes antivaccins?

D’abord, il y a une perte de confiance envers toute une série de repères d’informations et cette perte de confiance elle s’est aussi construite par l’affiliation à ces groupes.

Dans ces mouvements-là, ça part d’une vision du monde qui peut être tout à fait légitime : qu’on vit dans un monde trop technologique et que nous sommes trop éloignés de la nature. On va alors socialiser avec des groupes qui partagent ces croyances et cette vision du monde et ça fait en sorte que ces personnes sont progressivement exposées à des théories de plus en plus radicales.

Pour moi, il y a un double mouvement, d’abord de socialisation dans un groupe qui va donner du sens et du réconfort face à une pandémie qui fait que nous sommes davantage isolés et qui transforme nos relations sociales. Ensuite, ça permet de comprendre ce qui se passe.

Les tenants de ces discours offrent une explication sur tout ce qui est en train d’arriver, qui est très simple et dans laquelle le vaccin est un élément parmi d’autres, mais qui résonne avec des idées préexistantes : le rapport à la nature, l’idée que l’État veut nous contrôler, etc.

Donc, le complotisme, il se greffe à des idées qui étaient déjà présentes avant, mais en offrant en prime une appartenance sociale et une valorisation à travers les relations à autrui.

Et à tout ça s’ajoute aussi une méfiance envers les élites et les autorités gouvernementales et sanitaires, non?

Oui, c’est la base du complotisme. Le complotisme consiste à organiser la société entre les élites et les autres qui sont soit des moutons, soit des gens éclairés qui ont découvert la vérité.

Tout part de ce manque de confiance qui va ensuite être renforcé par le complotisme, qui vous permet d'interpréter le discours des autorités selon cette grille de lecture, et donc ça vient renforcer la méfiance vis-à-vis des institutions.

Comment doit-on répondre au mouvement antivaccin? Qu’est-ce que la psychologie sociale nous offre comme outils pour tenter de convaincre les opposants aux vaccins du bien-fondé de cette mesure sanitaire?

Je suis assez pessimiste. Je pense qu’on a relativement peu de chances de faire changer d’avis ces personnes-là. Les personnes auprès desquelles on peut agir, ce sont les personnes qui sont un peu en marge, qui doutent encore, qui hésitent.

Avec ces personnes-là, il y a moyen de discuter, il y’a moyen d’apporter des informations, il y’a moyen de faire du fact checking.

Ce qui est très important avec les gens qui doutent, c’est vraiment de maintenir le dialogue, parce que ce qui va susciter l’adhésion à ces mouvements complotistes, c’est le sentiment qu’on est sur des planètes différentes.

À partir du moment où on vous stigmatise, où on n’écoute pas les mécanismes psychologiques à la source de ces croyances, on ne fait pas preuve d’empathie. À ce moment-là, les gens vont trouver dans ce genre de communautés ce à quoi vous ne pouvez plus répondre.

Il faut donc rester dans le même groupe, et se dire on parle de la même chose, on a les mêmes références et dire : Je comprends que tu doutes. Et pour le vaccin, c’est normal de douter. Je trouve pour l’instant tout à fait sain d’avoir des doutes sur les effets secondaires.

Je pense qu’il faut reconnaître qu’un risque existe, ça permet de créer un dialogue et puis de voir si ça vaut la peine de courir ce risque par rapport au risque sans doute bien plus important de la non-vaccination. Donc, si on arrive à garder le contact, il y a moyen de discuter.

Manif devant le Parlement de Québec. 
Tous unis contre la 5G, la vaccination, les médias, le confinement, etc.

Manif devant le Parlement de Québec. Tous unis contre la 5G, la vaccination, les médias, le confinement, etc.

Photo : Radio-Canada / Daniel Coulombe

On constate aussi, bien souvent, que les personnes qui adhèrent aux discours antivaccins croient en parallèle à d’autres théories du complot, n’est-ce pas?

Oui, c’est bien connu : le meilleur prédicteur d’un complot, c’est la croyance à un autre complot. Les complotistes, par définition, ne font pas confiance aux élites et à peu près toutes les théories du complot remettent en cause le discours des élites, alors forcément, ils ont tendance à croire à toute une série de théories différentes.

Plutôt que de vouloir faire changer d’idée les antivaccins purs et durs, ce qu’il faut faire, c’est limiter la diffusion de la désinformation.

Une citation de Olivier Klein, professeur de psychologie, Université libre de Bruxelles.

Quelle est la recette du succès du discours antivaccin auprès de certaines personnes?

Un premier élément est que ceux qui le tiennent se mettent à la hauteur de la personne à qui ils parlent. Ils ne se présentent pas comme les gens qui savent tout et qui vont dire quelle est la vérité, c’est souvent beaucoup plus subtil que ça. Ils vont se mettre à votre hauteur et dire : Voici une série de faits, tu peux te faire ton opinion par toi-même.

Donc, ils vont valoriser la personne et son esprit critique et en fait, c’est de la manipulation pure et simple. La meilleure façon de manipuler quelqu’un, c’est de lui faire croire qu’il est libre.

On va leur donner toute une série d’informations et alors les personnes se sentent valorisées et vont adhérer à la conclusion qui découle presque mécaniquement des faits qui sont présentés et ça entraîne la conviction, car c’est vous-même qui déduisez quelque chose à partir d’informations tout à fait librement. C'est comme ça qu’on est convaincu.

Quand l’État vous dit : Le vaccin c’est bien, il n’y a pas de risques , on se sent un peu dépossédé, on doit le croire sur parole, alors que le complotiste vous dit : Tirez votre propre conclusion vous-même, vous vous sentez illuminé, investi d’un savoir extraordinaire.

Dans une situation de vulnérabilité comme une pandémie, ça permet de se sentir connecté avec toute une communauté, et donc vous sentez que vous faites partie d’un groupe, d’une collectivité qui vous aide à construire cette vision du monde.


Guerre asymétrique sur les réseaux sociaux

Une étude (Nouvelle fenêtre) publiée en mai dernier dans la revue Nature montrait à quel point les groupes antivaccins avaient eu une plus grande influence sur Facebook que les groupes provaccins lors de l'importante l'éclosion de rougeole en 2019. Mieux réseautés, plus actifs, plus efficaces, leur message parvenait à pénétrer plus aisément des espaces dits neutres face à la question de la vaccination.

Se montrant consciente du problème, l'entreprise Facebook a d'ailleurs annoncé cette semaine (Nouvelle fenêtre) qu'elle supprimerait de ses plateformes les fausses allégations concernant les vaccins contre la COVID-19 qui auront été démenties par les experts de la santé publique.

En France, seuls 54 % des personnes sondées comptent se faire vacciner contre la COVID-19, selon un récent sondage (Nouvelle fenêtre). Face à la forte présence du mouvement antivaccin sur les réseaux sociaux, plusieurs citoyens provaccins ont décidé d'offrir une riposte. Leur objectif n'est pas nécessairement de convaincre les opposants à la vaccination, mais plutôt d'offrir un contrepoids avec des réponses faciles et scientifiquement sourcées, ont-ils affirmé (Nouvelle fenêtre) au quotidien Ouest-France.

Le journaliste scientifique Jean-François Cliche est aussi d'avis que les discours provaccin et antivaccin se livrent une guerre inégale sur les réseaux sociaux.

C’est un peu comme si les grandes organisations sanitaires étaient une grande armée napoléonienne qui est très bonne pour remporter des batailles sur un grand champ de bataille ouvert où les deux armées peuvent se voir, sauf que les groupes antivaccins s’adonnent davantage à une guérilla. [...] Ce n’est pas pour rien que les groupes antivaccins évitent d’habitude les débats publics avec des vrais experts, et quand ils le font, ça ne se passe vraiment pas bien pour eux.

Une citation de Jean-François Cliche, journaliste scientifique

Vous pourrez voir une entrevue avec M. Cliche à l'émission Décrypteurs, samedi à 11 h 30 sur ICI RDI, en rediffusion le dimanche à 13 h et sur ICI TOU.TV (Nouvelle fenêtre).

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