Une histoire d’amour entre un jeune aveugle et une apprentie actrice franche et insouciante, vous y croyez ? Au Théâtre Rive-Gauche, Éric-Emmanuel Schmitt exhume et adapte Libres sont les papillons de l’Américain Léonard Gershe. Cette comédie romantique au titre sucré laisse présager un agréable divertissement. Malgré un enrobage sirupeux et une faiblesse globale dans l’écriture, la pièce aborde avec une grande justesse les relations houleuses entre enfants et parents et la revendication à la normalité malgré le handicap. Jean-Luc Moreau dirige avec évidence un quatuor de comédiens bien assortis et souligne l’éclosion d’un talent brut de décoffrage, Anouchka Delon.

Quentin respire enfin. Parti de la maison familiale de Neuilly, le jeune compositeur a posé ses valises dans un cagibi à Barbès. Le changement drastique de décor ne semble pas poser de problème au jeune homme (et pour cause, il est aveugle de naissance). Débarrassé d’une mère surprotectrice, il découvre la liberté. Sa rencontre avec Julia, voisine de palier gaffeuse et gourmande, va bouleverser sa tranquillité…

L’amour peut-il balayer les différences ? Léonard Gershe nous met face à l’éclosion d’une liaison improbable entre deux tempéraments apparemment opposés : la volcanique et volage Julia détonne par rapport au tranquille et discret Quentin. Ce jeu du chat et de la souris trouvera cependant (et bien rapidement) une conclusion câline. Mais c’était sans compte la présence envahissante de Florence, bien décidée à ramener son poussin au bercail. Rapidement, le triangle dessine des tensions et crée un sel comique et émouvant.

Anouchka Delon sort de sa chrysalide
Avouons-le, le début de la pièce laissait craindre les pires mièvreries. Une fois les quinze premières minutes passées, tout va mieux. Amants à la ville comme à la scène, Anouchka Delon et Julien Dereims n’ont pas à se forcer pour créer une romance naissante malgré les caractères contrastés de leur personnage. La jeune femme, dont ce sont les réels premiers pas au théâtre, désarçonne par son naturel et son jeu très cash. Totalement à l’aise sur le plateau, on ne dirait même pas qu’elle compose un rôle tant cela semble couler de source. Pimpante sans chichi, elle papillonne en toute spontanéité aux côtés de son partenaire. Celui-ci se montre plus discret, malgré de brèves explosions et apporte une belle intériorité à une partition délicate. Il est très crédible en aveugle qui se rebelle.

Si l’idylle surprenante de Quentin et Julia paraît de prime abord constituer l’intérêt premier de Libres sont les papillons, la relation conflictuelle entre le fils et la mère emporte davantage notre adhésion. Nathalie Roussel est géniale et très drôle en mère bourgeoise coincée et castratrice. Pince-sans-rire, elle questionne également les limites du cocon maternel. Comment délivrer à la fois de l’amour, sans étouffer trop son enfant ? D’autant plus quand il est différent des autres ? De l’agacement aux mises au point, pour finir à la réconciliation, le chemin n’est pas si aisé.

En ancrant assez justement Libres sont les papillons dans notre Paris actuel, Schmitt prouve que les discordances familiales et sentimentales n’ont pas vraiment pris une ride au théâtre. Jean-Luc Moreau imprime un rythme enlevé et frais à cette comédie qui cache plus de profondeur qu’il n’y paraît. ♥ ♥ ♥

LIBRES SONT LES PAPILLONS de Léonard Gershe. M.E.S de Jean-Luc Moreau. Théâtre Rive-Gauche. 01 43 35 32 31. 1h30.

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